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Kaavad26/01/2022

Développer l’imagination des jeunes autour des questions futures ?

Décoloniser l’imagination et les récits du Futurs

Pupul Bisht est chercheuse en « future studies », un domaine qui étudie les futurs et bifurcations potentiel·les dans le champs des technologies, des mœurs, de l’environnement, de l’économie, etc. Au fil de ces investigations, la chercheuse constate que le déploiement de l’imagination autour de questions futures est influencé par le milieu socioculturel, le vécu individuel et les croyances. Selon elle « la science-fiction occidentale, largement popularisée par Hollywood, domine notre imagination dans la plupart des parties du monde ». Elle illustre ce propos en citant l’auteur américain, Berlatsky : « Le fait que le colonialisme1 soit si ancré dans les scénarios de science-fiction, et que la science-fiction soit si centrale dans notre culture populaire, suggère que l’expérience coloniale reste plus étroitement liée à notre vie politique et à notre culture publique que nous aimons parfois à le penser. La science-fiction ne démontre donc pas seulement les possibilités futures, mais les limitations futures – dans la mesure où notre imagination reste captive des choses que nous avons déjà faites »2.

C’est sur base de ce constat que Pupul Bisht propose de décoloniser l’imagination et les futurs en s’inspirant d’une tradition narrative originaire du Rajasthan : le Kaavad.

Le Kaavad. Contes du Rajasthan

Le Kaavad est une forme de narration utilisée par les conteurs nomades du Rajasthan. Cette pratique, vieille de 400 ans, repose sur l’emploi d’ une série de panneaux illustrés s’articulant comme des portes. Les panneaux sont manipulés par les conteur·ses pour l’élaboration d’épopées dont les rebondissements et les héros changent au gré des inspirations. La tradition narrative du Kaavad s’articule autour de trois principes narratifs :

  • Le récit est multidimensionnel et multi-temporel. Il fait cohabiter dans le même scénario, des personnages issus du passé, du présent et du futur, mais aussi des héros et héroïnes fictifs/ves. Dans ces histoires, le fictif et le réels se confondent, dans un espace-temps non-chronologique.

  • L’illustration ne cloisonne pas le récit. Le·la conteur·ses manipule des images dont il·elle comprend le symbolisme et invente ses propres histoires. Il y a autant d’histoires qu’il y a de conteurs.

  • Le public et le conteur font parties du récit. L’élaboration de l’histoire fait appel à la participation des spectateur·rice. L’outil est donc collaboratif car il suggère de négocier le lieu, le temps, l’intrigue avec l’auditeur·rice, dans un va et vient entre l’univers fictif et la réalité.

Cette tradition du conte se veut inclusive et participative, elle chamboule notre rapport chronologique au temps et à l’espace. De ce fait, elle semble particulièrement intéressante pour décloisonner nos imaginations, activer la pensée divergente et enrichir nos imaginaires d’autres symboles.

« Le Kaavad ne prétend pas être objectif et n’est pas un outil neutre pour imaginer des futurs. Il reconnaît la subjectivité des vérités et des perspectives, et le revendique explicitement. »

Pupul Bisht 

Imaginer le futur avec le Kaavad.

Pupul Bitsh propose de s’inspirer du kaavad pour développer un dispositif d’animation en 10 étapes. Ce dispositif tente de stimuler l’imagination collective autour de questions spécifiques. Il permet d’aborder des questions sociétales sous un angle systémique et d’identifier des possibilités de mise en action afin de tendre vers les futurs rêvés. En ce sens, l’outil permet de renforcer le sentiment d’appartenance au groupe et le pouvoir d’agir individuel et collectif.

L’Equipe d’Ajile a décidé d’adapter ce dispositif pour aborder sa thématique biennale – Mondes à venir – avec des publics d’enfants, adolescent·es ou jeunes adultes. A travers l’exploration de ce thème, l’équipe souhaite accompagner les jeunes dans une réflexion citoyenne et critique autour de futurs alternatifs – Quel futur pour la jeunesse ? Comment seront les écoles de demain ? Quelles luttes pour l’environnement ? Quels rapports de pouvoir ? Quelle place pour les femmes ?, etc – L’équipe a, par ailleurs, testé l’outil en imaginant quels pourraient être les rapports de genre en l’année 2052. 

1Exemples : Extra-terrestres colonisant la terre ou humains colonisant d’autres planètes.

2The fact that colonialism is so central to science-fiction, and that science-fiction is so central to our own pop culture, suggests that the colonial experience remains more tightly bound up with our political life and public culture than we sometimes like to think. Sci-fi, then, doesn’t just demonstrate future possibilities, but future limits—the extent to which dreams of what we’ll do remain captive to the things we’ve already done. (Berlatsky, 2014)